24/01/2024
Une journée d’été 1942, dans le regard d’un enfant de 10 ans.
Mes parents avaient une petite ferme à Saint-Arnoult au 18 de la rue Poupinel. Les habitués venaient y chercher leur lait après la traite du matin. Les trois aînés, nous avions chacun notre circuit de distribution à faire avant l’école. Celle du soir confiée aux trois plus jeunes.
Un matin de juillet 1942, une cliente : « Que se passe-t-il ? Au bout de votre rue, en face du 39, il y a un bus parisien, avec des policiers ».
Les questions fusaient. « Ils ramassent tous les étrangers. Les Allemands ont peur des espions ». C’était sur mon circuit. Je suis parti avec les trois laitières. Effectivement à une centaine de mètres, il y avait un bus, avec une plateforme à l’arrière. Il était garé devant la porte d’un jardin. Sur la plateforme, il y avait été collée une affiche de propagande, représentant une sortie de tunnel avec un homme énorme qui en sortait. Il prenait toute l’ouverture. Une baudruche qui ressemblait à Bibendum, avec écrit en gros « gaulliste ». Un soldat allemand, casqué le transperçait avec sa baïonnette. Cela faisait psitt. Elle se dégonflait. Cette affiche reflétait bien l’état d’esprit du moment. Elle avait certainement été collée par le garde champêtre. Il obéissait aux ordres. Un homme en gabardine beige sur le trottoir et un avec un képi, sur la plateforme. Je suis passé rapidement. À dix ans, on est curieux, mais pas téméraire. Le midi à table, notre père dit : « Adolphe avec ses armées est maître de presque toute l’Europe. Je ne vois pas en quoi cette vieille dame pouvait le gêner dans ses projets. Même si c’est une anglaise et que son pays est toujours en guerre ».
Depuis, j’ai appris que les rafles, du 16 et 17 juillet 1942, que l’on dit du Vel-d’Hiv, concernaient la ville de Paris, la Seine et la Seine et Oise. Avant la guerre mes parents avaient noué des relations d’amitié avec un couple de vacanciers, juifs, logeant au 25 de cette rue. Elle, une berlinoise avait fui l’Allemagne après la nuit de Cristal. Son mari était de Minsk. C’est lui qui a pris la photo (voir ci-dessus) dans la cour de la ferme. Il y a à droite Anna Migdal avec sa fille dans les bras et ma mère avec les quatre garçons Thiol.
Après, ils venaient à la maison. Heureux de pouvoir parler en Allemand avec ma mère.
Mes parents étaient donc au courant et sensibilisés par la question des juifs. En 1945, après la moisson, ce couple est revenu, avec des survivants des camps. Une jeune femme nous a montré son tatouage sur son avant-bras.
Source : Jean Thiol, Arnolphien aujourd’hui agé de 92 ans.